Cancer
Dérivé du grec karkinos qui signifie crabe ou pinces, le mot latin cancer, désignant crabe ou écrevisse, prend à la fin du XVe siècle en français le sens de tumeur maligne (on trouve aussi cancre ou chancre). Ce rapprochement est justifié, par Galien, par Henri de Mondeville puis par Ambroise Paré (1509-1590), par l’aspect d’une tumeur qui présente une masse centrale d’où rayonnent des veines gonflées ou des ramifications, comme des pattes, par l’adhérence de la tumeur qui s’accroche aux tissus voisins comme avec des pinces ; au début du XIXe siècle, Récamier fera en outre remarquer que le cancer, comme le crabe ou l’écrevisse, reconstitue un fragment de chair arraché.
L’adjectif cancéreux est utilisé dès le milieu du XVIIIe siècle, avant de donner anticancéreux, puis employé comme nom (1845). À partir de 1920, cancer est à l’origine de nombreux mots : cancérologie, cancérologue, cancérigène puis cancérogène, cancérophobie... qui deviennent plus courants que carcinologie (1846), carcinogène... pourtant plus satisfaisants parce que construits à partir de deux racines grecques dont la première subsiste dans carcinome.
Cancer est souvent utilisé comme image (métaphore) pour qualifier un fléau social : le chômage, le racisme, la drogue, la corruption, la pollution, les narcodollars ou le terrorisme. Comme la tumeur maligne, ces maux ont une origine interne à la société qu’ils frappent, donnent une impression de désordre, menacent l’équilibre et l’existence du milieu au sein duquel ils se développent. Cette signification devient paradoxale quand on reconnaît que l’origine de la majorité des cancers se trouve dans l’environnement, c’est-à-dire qu’ils sont provoqués par des facteurs externes. Il semble que le cancer a remplacé la « gangrène » d’autrefois.
Déjà Saint-Simon usait de la métaphore pour dénoncer la passion du jeu comme un « cancer qui ronge les particuliers ». En 1919, Edith Whanton écrit : « L’influence allemande était aussi profondément ancrée au Maroc qu’un cancer : l’extraire demandait la plus délicate des opérations ». François Mauriac demande : « Comment guérir la concupiscence ? Elle n’est jamais limitée à quelques actes : c’est un cancer généralisé ; l’infection est partout ». Pour V. Jankélévitch, « il y a dans nos sentiments une inclination passionnelle qui les rendra obsédants et, pour ainsi dire, cancéreux » tandis qu’« un instinct livré à lui-même prolifère indéfiniment ».